Les minutes s’égrenèrent sous l’eau chaude. Cinq, dix, quinze minutes. Maeve s’éveilla, ou plutôt se secoua psychiquement, et sortit de sa douche. Elle se sentait déjà mieux, une fois propre et détendue, et, après s’être vêtue de manière un peu plus à son goût – c’est-à-dire un baggy noir, un t-shirt moulant vert sombre et un pull dans les mêmes tons, avec l’inséparable paire de baskets – elle décida de faire le point, assise dans la cuisine aux couleurs claires, une tasse de café à la main.
La Fiann s’accouda sur le rebord de la fenêtre. Il était déjà tard, le soir allait bientôt tomber, bien que la ville ne s’endormirait pas pour autant.
Credna était morte. On avait tué sa tante, presque sous ses yeux, il y avait un moment de flottement dans sa mémoire et puis tout s’était enchaîné. L’espèce de créature, le caern, la station d’épuration, le fantôme, sa quête… Trop vite pour elle.
Credna était morte. Etrangement elle n’arrivait pas à s’y faire. Elle n’arrivait plus à être triste. Credna était morte. Il fallait qu’elle se le répète, comme pour se le rappeler : comme si Credna ne pouvait pas mourir, parce qu’elle était Credna, celle qui avait dit « merde » à la Nation Garou et qui s’était barrée à des milliers de kilomètres de sa ville natale pour pouvoir dire « merde » aux gens en paix. Credna ne pouvait pas mourir, elle était sa seule famille, elle était immortelle.
Même en l’ayant vu sous forme spectrale, Maeve ne pouvait pas y croire.
Credna était morte. De façon pragmatique, ça la mettait fortement dans l’embarras. Déjà parce qu’elle n’avait aucun moyen de contacter tous ses amis. Sa tante recevait souvent du monde, du monde assez bizarre, du monde qui lui semblait assez lupin maintenant qu’elle y repensait. Quand elle était gosse, tata la faisait souvent gardée par de gros chiens, jusqu’à ce que la directrice de la maternelle appelle la fourrière, pour débarrasser le quartier de ces « sales bêtes sauvages ». On l’avait changé d’école et c’était depuis des « collègues de travail » un peu maladroits qui venaient parfois la chercher au collège. Jusqu’à ce qu’un de ces fameux collègues se batte avec un mec qui avait foutu un coup de pied à son chien. Se batte jusqu’à le tuer, si elle avait bien tout suivi.
Avec le recul, Maeve se demanda comment elle avait fait pour croire si longtemps que sa tante était gardienne de zoo.
Et puis maintenant il allait falloir qu’elle se trouve un emploi. De quoi bouffer, de quoi payer les factures, les impôts, tout ça. Comment continuer ses études après ça ? Si seulement elle avait une famille… Mais Maeve n’en avait pas. Visiblement, il ne lui restait que le caern, et elle n’en voulait pas. Servir de chaire à canon dans une guerre qui, de tradition familiale, n’était pas la sienne ? Niet, nein, no way. Fallait pas abuser non plus. D’un autre côté, si c’était ça ou mourir de faim…
Deux tasses de café plus tard, la jeune fille ne savait toujours pas quoi faire, sauf qu’il fallait d’abord sauver le cadavre de tatie des mains des méchants qui l’avaient tué. Et pour cela elle avait un plan.
L’avantage quand on vit avec une personne ayant les mêmes réflexes hygiéniques qu’un célibataire endurci, c’est qu’on trouve très facilement des vêtements sales quand on en cherche, voire quand on en cherche pas. La jeune fille se saisit donc d’un t-shirt, qui n’avait certainement pas vu une goût d’eau et de nettoyant depuis au moins six mois, date à laquelle Maeve avait fait son dernier rangement complet de l’appartement, et le fourra dans un vieux sac en bandoulière, avec aussi deux-trois p’tits trucs utiles tel que son téléphone portable, un couteau à cran d’arrêt et un plan de la ville, avant de sortir de l’appartement, fermant précautionneusement la porte derrière elle. Elle descendit en suite dans la rue et se rendit sur le lieu de mort de sa tante. Là, tentant de se servir de son nouvel odorat surdéveloppé et d’ignorer les regards surpris des passants, elle essaya de repérer au nez l’odeur de sa tante.